Publié le :
08/03/2024 13:06:44
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S’il existe un sujet que j’aime aborder pendant mes séances de dégustation à domicile, c’est bien celui des médailles viticoles. Pour l’immense majorité des consommateurs et consommatrices de vin, qui achètent leurs bouteilles en supermarché, celles-ci sont un argument marketing très important, et très convaincant. Mais les vins médaillés lors des concours, des salons, des foires ou par des médias, sont-ils réellement la garantie d’un rapport qualité / prix optimal et honnête ? Peut-on vraiment leur faire confiance ? Voici tout ce que vous devez savoir sur l’attribution d’une médaille.
Depuis le début des années 2000, les concours des vins et les médailles ont la cote, que ce soit localement ou au niveau international. On compte chaque année des milliers de bouteilles récompensées, principalement en France (plus d’une centaine de concours…), et globalement partout où il existe des amateurs de vins ou un système d’appellation (Belgique, Allemagne, Italie, Espagne, Chine, Japon, USA…). On trouve des concours :
L’apparition des médailles n’a pas vraiment été une surprise. Celles-ci sont un argument commercial imbattable pour vendre. Il est très simple d’identifier le triptyque or / argent / bronze qui nous rappelle les athlètes médaillés lors d’une compétition.
Au point qu’il n’est même plus aujourd’hui nécessaire d’avoir ces couleurs. Un simple macaron collé sur la bouteille nousinspire déjà une impression de qualité supérieure, même s’il est seulement écrit : « Sélection de l’année … », « Coup de cœur … » ou encore « Cuvée du jury … ».
Bref, le macaron, c’est un peu comme un phare dans le brouillard pour le consommateur désorienté qui n’est pas sûr·e de sa sélection.
On retrouve principalement ces médailles dans la grande distribution, et plus largement là où l’acheteur est seul face à son choix. En l’absence des conseils d’un vendeur, la médaille et le packaging sont les seules sources d’information disponibles. Cela attire l’œil et cela rassure. Les vigneron·nes auraient tort de se priver de ces outils de réassurance : cela entraîne une hausse de 15 à 20 % des ventes !
À titre d’exemple, je n’ai pas trouvé de chiffres pour la Belgique, mais en France, 59 % des acheteurs en grande surface se réfèrent à ces médailles pour se décider (étude Viavoice 2022).
Tout le débat autour de la qualité des médailles se situe dans l’obtention de la récompense. Effectivement, l’attribution repose parfois sur un système assez bancal.
La médaille, c’est une histoire de marketing et de sous. Si elle rapporte au vigneron en fin de parcours, qui pourra aussi afficher un diplôme dans sa cave, elle rapporte aussi d’abord aux organisateurs des concours. Pour obtenir une médaille, il faut généralement payer une 1e fois pour présenter ses cuvées au jury. Comptez environ :
Si le viticulteur a la chance d’être sélectionné, il devra à nouveau payer l’organisateur du concours pour financer l’impression des médailles (pour 1 000 médailles : 14,50 € au Concours général agricole de Paris, 60 € chez Gilbert & Gaillard, 110 € pour Chardonnay du Monde…). Et donc plus il y a de cuvées présentées et médaillées, plus le concours rapporte de l’argent.
Gardez à l’esprit que tous les vignerons ne peuvent pas financièrement se permettre de participer à ces concours, malgré la qualité de leurs vins.
Un autre problème vient de l’organisation même des dégustations des vins, avec parfois des méthodes tout sauf universelles.
La première difficulté est de trouver des jurés. Il existe trop peu de professionnels (journalistes spécialisés, œnologues) pour couvrir l’ensemble des concours, et ceux-ci demandent généralement une rétribution. Certains événements requièrent plusieurs centaines de participants, 2 400 rien que pour le Concours général agricole au salon de l’agriculture de Paris ! Les organisateurs se tournent alors vers des amateurs éclairés, disponibles pour l’occasion. On leur demande alors de justifier d’une expérience de dégustateur. Comment s’assurer de l’impartialité de leurs avis ?
Aussi, les vins sont rarement dégustés plusieurs fois (ce qui serait techniquement compliqué en termes de logistique et d’organisation). Or, comment s’assurer que les vins étaient à leur optimum au moment de les goûter, souvent en matinée ? Comment être sûr que les jurés donneraient la même note s’ils les regoûtaient l’après-midi, ou dans des conditions différentes ?
Je vous le concède, il est illusoire d’espérer voir des dégustations se dérouler dans des conditions de bloc opératoire, en environnement absolument stérile. Et je ne doute pas du plaisir et du sérieux des dégustateurs qui se sentent investis d’une mission. Mais une harmonisation des pratiques pourrait ajouter du crédit aux résultats des concours, à l’avantage des consommateurs.
Un dernier point faible est le nombre de médailles délivrées par rapport aux bouteilles présentées. L’OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin) limite à 30 % de vins récompensés sur l’ensemble des échantillons. En France, depuis 2013, la DGCCRF rappelle que distribuer plus du tiers (33,3 %) de médailles sur l’ensemble des cuvées du concours est illégal (article 10).
Mais ailleurs dans le monde, on peut aisément dépasser 40 % chez Mundus Vini en Allemagne, 60% pour l’IWSC de Londres et jusqu’à 80 % chez Decanter… Dans ce dernier cas, il devient presque plus difficile de ne pas recevoir de médaillé ! La situation revient à médailler 8 athlètes sur 10 sur une seule course !
« Tapez dans Google « règlement concours (nom du concours) » ou « rules wine competition (nom du concours) »
Je ne vais pas vous surprendre si je vous dis qu’il n’existe aucune garantie de qualité derrière la médaille viticole. J’en veux pour preuve le canular du sommelier belge Éric Boschman (autre source en France) qui a réussi à obtenir une médaille d’or au célèbre « Concours international Gilbert et Gaillard » avec une piquette à 2,50 €. Ou encore le ratio d’attribution, même chez les grands noms comme Decanter. Oui, il y a clairement des abus.
Et ne perdez pas de vue qu’il s’agit d’abord d’un argument marketing, fait pour vendre. Vous noterez qu’aucun grand nom ou grand domaine viticole ne se risque à ce petit jeu. La seule manière de contrôler la qualité d’une médaille est d’observer les règles d’attribution des concours, leur fonctionnement et le ratio vins présentés / vins médaillés. Il vous suffit d’effectuer une petite recherche dans Google avec les mots-clés « règlement concours (nom du concours) » ou « rules wine competition (nom du concours) ».
Fort heureusement, de nombreux concours observent les règles fixées par l’OIV. Je vous recommande d’ailleurs de les consulter, car vous y trouverez tout ce qu’il faut savoir pour évaluer si un concours est sérieux ou non :
Vous y trouverez même en annexe des détails supplémentaires sur le classement des échantillons dans différentes catégories, le bulletin d'analyses requis, et les modèles de fiches de notation pour différents types de vins. Tout le matériel pour vous former à devenir juré·e de dégustation !
En Belgique, nous avons la chance que le CMB observe avec sérieux le cadre proposé par l’OIV.
J’au eu moi-même l’opportunité d’être juré pour ce très beau concours qui observe selon moi un maximum de bonnes pratiques, même si cela est toujours perfectible. Voici comment cela se passe dans les grandes lignes :
Du côté des résultats, cela se passe ainsi :
De base, un vin obtient une médaille d’argent entre 85 et 86,8 points. La médaille d’or est obtenue entre 86,9 et 90 points et la grande médaille d’or avec un score au-dessus de 90. Par exemple :
« Dans une série de 8 vins, s’ils obtiennent tous 90 points ou plus, il y a une normalisation pour répartir à maximum 30 % les attributions de médailles. Donc certains vins cotés à plus de 90/100 n’auront PAS FORCÉMENT de médaille. »
Il arrive donc que certains producteurs, qui obtiennent des médailles dans d’autres concours, ne reçoivent aucune récompense au CMB, ce qui souligne le sérieux de ce concours. Fier d’être belge ? Oui ! Et je milite pour qu’à l’avenir, davantage de concours soient plus en cohérence avec l’OIV. En plus du triptyque or / argent / bronze, on trouve aussi maintenant une grande médaille d’or. D’autres concours donnent aussi des trophées d’excellence (Riesling du monde).
Le système des médailles permet aux vignerons de mettre en avant leurs vins et à la grande distribution de vendre plus efficacement. Si un grand nombre de concours attribuent avec sérieux les médailles, comme le CMB, impossible d’écarter l’existence d’abus de confiance.
Mais force est de constater que cela guide le consommateur dans son choix, sans la présence d’un caviste. Cet outil sert au néophyte qui ne dispose pas encore d’une culture vinicole poussée, ou à toute personne pressée de choisir rapidement une bouteille qui a toutes les chances d’être correcte. Avec peut-être le risque de passer à côté de belles opportunités de découverte, mais notre temps est précieux.
Face à cela, si cela vous intéresse, l’autre solution est d’éduquer votre palais et de forger votre propre opinion. S’ouvre alors un monde dans lequel vous devenez directement acteur ou actrice de votre choix, en conscience, sans que l’on ne décide pour vous de ce qui est bon ou pas.
C’est mon rôle de caviste de vous y amener, par le biais de mes dégustations à domicile et de tous autres événements que j’anime à Neufchâteau et dans sa région !